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PARTIE I

C) Mise en scène de la santé mentale du point de vue technique et artistique :

Deux études établies par les psychiatres et scientifiques allemands Hyler, Gabbard et Schneider en 1991 et McDonald et Walter en 2001 démontrent que différentes techniques cinématographiques sont fréquemment utilisées pour différencier et représenter de manière singulière un personnage atteint d’une pathologie psychiatrique au cinéma, telles que l’emploi du point de vue subjectif, le plan serré, une musique discordante, un éclairage particulier ou une photographie originale. On notera également, selon deux autres études (Goldstein, 1978 et Wilson, 2000) qu’un langage argotique que l’on pourrit qualifier de « stigmatisant » est également régulièrement employé pour désigner le personnage malade, notamment en anglais à travers des qualificatifs tels que « crazy », « psycho », « deranged » ou encore « loony », qui font tous référence à la folie du personnage.

Certains procédés cinématographiques viennent par ailleurs renforcer l’immersion dans la pathologie : on retrouve là encore le point de vue subjectif, mais également les variations de cadre (saccadées ou progressives) ou encore l’utilisation d’un zoom, que celui-ci soit très lent ou au contraire brutal. Des films tels que Mommy, de Xavier Dolan (2014) ou Melancholia, de Lars Von Trier (2011) en témoignent parfaitement.

Outre la musique extra-diégétique, très fréquemment utilisée au cinéma pour renforcer l’impact émotionnel d’une scène, une musique diégétique peut également venir appuyer le sentiment de folie vécu par un personnage. 


Concernant les TDI, une illustration très efficace et simple à mettre en scène consiste à matérialiser la double personnalité du protagoniste par un personnage qui apparaît au spectateur comme étant réel, incarné par un acteur aux côtés de celui qui joue personnage principal, comme évoqué plus haut. Mais des effets de transparence, de surimpression, de flou artistique, de lumière et d’ombres ou encore de couleurs peuvent également être appliqués sur la silhouette du personnage imaginaire, venant ainsi expliciter le fait qu’il n’est pas réel afin de faire comprendre au spectateur que ce personnage est en réalité une vision ou une hallucination vécue par le protagoniste.


Au niveau sonore, une voix-off peut également être très utile pour illustrer les expériences hallucinatoires auditives que subit un personnage. Ainsi, le spectateur entend la voix mais comprend que seul le personnage qui en souffre les entend également dans le film. Ce sera le cas notamment dans Birdman, de Alejandro González Iñárritu (2014), dans lequel le personnage incarné par Michael Keaton, qui joue le rôle d’un acteur en passe d’être oublié et en cruel manque de reconnaissance, entend régulièrement la voix de « Birdman », un personnage fictif qu’il a incarné par le passé et grâce auquel il avait côtoyé le succès.


L’aboutissement de la technique sonore et audio du cinéma à l’époque actuelle permet de multiples possibilités pour illustres les hallucinations sonores dont pourraient souffrir les personnages de certains films, notamment en superposant les voix, en les modifiant pour leur donner un aspect plus sombre, voire terrifiant, ou en rajoutant des bruits créés par ordinateur, rendant ainsi presque infinie la nature des bruitages que l’on peut créer aujourd’hui.


Dans le film Antichrist, de Lars Von Trier (2009), une scène peut être intéressante à analyser lorsque le personnage incarné par Charlotte Gainsbourg est victime de sa première hallucination : alors que son fils est mort en bas âge, elle entend un bébé pleurer dans la maison où elle séjourne avec son mari. Elle croit immédiatement que c’est le sien et qu’il l’appelle. En tant que mère, elle se doit d’y répondre, et elle court le chercher partout dans la maison et même dans le bois qui entoure l’habitation. Elle le trouve finalement en train de jouer paisiblement dans une pièce de la maison, il ne pleure pas et il va bien. Seulement il s’agit en réalité d’une hallucination d’abord sonore avec les cris du bébé, puis visuelle lorsqu’elle le voit dans la maison. Cette scène la laisse dans un état de profond bouleversement psychologique et va marquer le déclenchement de sa psychose.

Lars von Trier a ici une façon tout à fait réussie de faire ressortir la particularité d’une hallucination auditive, car le son des pleurs jaillit de toutes parts et non d’une source localisée. La protagoniste entendait les pleurs aussi bien à l’intérieur de la maison qu’à l’extérieur, et le fait d’aller chercher le bébé n’augmentait ni ne diminuait le volume sonore des cris, comme cela aurait été le cas si la source émettant les sons provenait bel et bien d’un endroit réel et n’était pas que le fruit de son imagination. 


Le son permet donc également de venir appuyer les hallucinations visuelles que peut vivre le personnage, renforçant ainsi l’aspect effrayant du délire psychotique qui l’assaille, comme par exemple les puissants coups de cymbales que l’on entend au moment de l’hallucination subie par le personnage de Catherine Deneuve dans Répulsion, de Roman Polanski (1966). Ce sentiment est par ailleurs renforcé par un zoom irrégulier mais rapide sur son visage terrorisé, puis par le contrechamp qui laisse voir le plafond se rapprocher à toute vitesse de son visage, que l’on distingue en amorce, traduisant ainsi son impression que les murs de sa maison se referment sur elles.



Dans le film Walk Away Renée, de Jonathan Caouette (2011), témoignage par lequel il fait partager au spectateur les souffrances vécues par sa mère atteinte de schizophrénie et qui sera abordé plus en détails en deuxième partie de ce mémoire, le réalisateur n’hésite pas à réinventer le réel, à donner une forme onirique à ce qui pourrait être, selon lui, une représentation du monde tel que sa mère le perçoit, à travers sa maladie mentale, en jouant sur tous les moyens visuels et sonores que lui offre le cinéma : effets spéciaux, split-screen ou encore musique folk ou pop, qui rythme les séquences en même temps qu’elle aère et dilate le film.



Le flash-back est également un moyen cinématographique pour faire comprendre au spectateur un événement survenu dans le passé du personnage et qui vient nourrir la compréhension de l’histoire par le spectateur, à l’aune d’un souvenir dont il ignorait l’existence jusqu’alors et qui pourrait par exemple expliquer la raison de la maladie mentale du personnage.


Lors d’un flash-back, de nombreuses techniques de mise en scène peuvent être utilisées afin que le public identifie la scène comme appartenant au passé et comprenne ainsi qu’il s’agit d’un souvenir. Les plus courantes sont :

  • des couleurs modifiées

  • une lumière éclatante ou une scène surexposée, procédé très souvent utilisé évoquant le bonheur et la nostalgie liés au souvenir en question (l’abondance de lumière évoque dans l’inconscient un bonheur révolu)

  • de l’écho dans les voix des personnages présents dans le souvenir

  • l’utilisation du ralenti

  • des enchaînements de plans ou de valeurs de plans peu cohérents, évoquant la difficulté que peut éprouver le personnage à se remémorer la scène ou l’incertitude qu’il ressent face à ce souvenir lorsque celui-ci est flou ou lointain

Dans son film Spider, David Cronenberg a d’ailleurs fait preuve d’inventivité sur la mise en scène lors d’une séquence dans laquelle le protagoniste a un flash-back : 


Il y a plusieurs manières montrer un flash-back au cinéma :


  • Soit la scène se déroule dans l’esprit du personnage et elle est montrée au spectateur d’un certain point de vue qui n’est pas celui du protagoniste car il n’est présent dans le flash-back qu’en la personne qu’il était à l’époque. La caméra le suit donc, étant plus jeune, évoluer dans la scène qui nous est montrée sans que sa version de lui qui vit le flash-back n’apparaisse à l’écran.


  • Soit le personnage qui vit le flash-back est présent dans son propre souvenir en tant que la personne qu’il est actuellement. Il revit donc son souvenir en se voyant plus jeune sans que les personnages de son souvenir ne constatent sa présence puisqu’il s’agit d’un souvenir. La caméra le montre alors réagir au souvenir qu’il est en train de revivre en y étant intégré comme un fantôme.


  • Soit on choisit de faire vivre le flash-back au spectateur du point de vue subjectif. L’oeil de la caméra prend donc la place des yeux du personnage lorsqu’il était plus jeune et le spectateur voit ce qu’il a vu et vécu à l’époque.


Dans Spider, David Cronenberg s’est en quelque sorte joué de ces mécanismes de mise en scène en brouillant la frontière qui sépare ces modes de présentation d’un souvenir et en les mélangeant : Le personnage principal, atteint de schizophrénie, a un flash-back de lui étant petit mais on le voit adulte, à demi dissimulé par des buissons, regarder la scène de son enfance à travers la fenêtre, en restant à distance. On aurait ainsi presque l’impression que les personnages de son souvenir (sa mère et lui étant enfant) pourraient le voir à tout moment et qu’il a peur que cela se produise. Ainsi il est à la fois présent dans son souvenir, mais absent du lieu dans lequel il se déroule. En plus de cela, des plans en vision subjective de lui étant enfant nous sont montrés, et c’est justement dans ces plans qui reproduisent ce que voit l’enfant que l’on aperçoit le protagoniste adulte à travers la fenêtre. Une façon ingénieuse et novatrice de mettre en scène un flash-back, en combinant les possibilités cinématographiques qu’il a à sa disposition. 



Pour ce qui concerne maintenant la toxicomanie, les effets que produisent la drogue sur le cerveau, la vision et les sensations du personnage qui en consomme peuvent être montrés de mille et une manières grâce à la mise en scène cinématographique visuelle et sonore, toujours dans l’objectif pour le réalisateur d’illustrer sa propre version de ce à quoi peut ressembler un « trip » sous substances, qui se caractérise bien souvent pour le personnage par une perception altérée de son environnement.


Par exemple, pour rendre compte des effets de la drogue sur le mental du personnage, le cinéma a parfois recours à la surimpression d’images ou de plans, comme en témoigne la célèbre ouverture d’Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola (1979).


Le décor peut également être mis à contribution pour illustrer la descente au enfers d’un personnage en plein bad trip, comme lorsque Renton s’enfonce dans le plancher (où se fait aspirer par lui, difficile de déterminer) dans Trainspotting, de Danny Boyle (1996).


Le montage peut également avoir un rôle très important dans la façon d’illustrer la consommation de drogue ou les effets qu’elle provoque. Ainsi le montage en accéléré de plusieurs inserts relatifs à la prise de drogue dans Requiem for a Dream, de Darren Aronofsky (2000) permettent d’illustrer l’aspect mécanique, presque rituel, des gestes liés à la consommation de drogue et témoignant de la détresse psychologique du personnage, qui n’a même plus conscience de l’impact que la drogue opère sur son psychisme : des gestes répétitifs, mécaniques, devenus anodins et révélant aussi une certaine maîtrise dans la pratique par ce montage accéléré. Il n’y a même plus besoin de s’attarder sur la prise de drogues tellement cette dernière est devenue une habitude…

Le montage joue également un rôle important dans la perception que le personnage a de son environnement et la compréhension par le spectateur du fait de savoir si ce qu’il voit à l’écran est vécu par tout le monde ou seulement par le personnage. Par exemple, pour en revenir à Clean, Shaven, l’alternance entre gros plan sur le visage de Peter Winter et  gros plans sur les hallucinations qui l’assaillent permettent de montrer que celles-ci sont uniquement liées à lui et perçues par lui.

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