top of page
Joker (1).jpg

II.B. 2) La performance de Joaquin Phoenix :

Pour son film intitulé Joker (2019), qui consacrait pour la toute première fois le Joker comme protagoniste et personnage principal de son histoire, Todd Philipps a souhaité revenir sur la naissance du traumatisme subi par l’antagoniste afin d’expliquer au spectateur, à travers une certaine vision, comment le comédien en souffrance Arthur Fleck est-il devenu le clown machiavélique que l’on connaît aujourd’hui. Qu’est-ce qui a bien pu amener cette personnalité, au début si timide et introvertie à basculer et à sombrer peu à peu dans la folie ?


L’intérêt particulier de la version de Todd Philipps réside dans la représentation qu’il établit du Joker, qui pourrait parfaitement se prêter à une analyse psychologique détaillée (Arthur Fleck allant d’ailleurs consulter régulièrement une psychologue au début du film). Tandis que la prestation de Heath Ledger dans The Dark Knight présentait un esprit qui pouvait répondre à de nombreux qualificatifs du champ lexical de la folie (fou, sadique, déséquilibré, masochiste, manipulateur, machiavélique, etc.) sans attribuer précisément une pathologie à son personnage, le Joker incarné par Joaquin Phoenix permet d’entreprendre une analyse de sa psychologie et peut être interprété comme un être sociopathe ou souffrant de trouble de la personnalité antisociale, ou encore victimes de troubles obsessionnels compulsifs (TOC). La représentation de Todd Philips s’attarde plus sur la psychologie du personnage, sa souffrance, la maladie dont il est victime et la conscience qu’il a de la fragilité de son état mental, éclairant ainsi sous un nouveau jour  ce qui l’a conduit à devenir le psychopathe de Gotham. 



En ce qui concerne maintenant l’interprétation de Joaquin Phoenix, celui-ci affirme (selon ses propres mots) qu’il a « réellement commencé à devenir fou en se préparant au rôle du Joker ». L’acteur est lui aussi réputé pour énormément s’investir dans ses rôles, mais lorsqu’il s’agit du Joker, l’approche mentale du personnage peut rapidement déséquilibrer le comédien qui l’incarne.

« La première étape est la perte de poids. Lorsque cela arrive, cela impacte directement votre psychologie et vous commencez vraiment à avoir l’impression de devenir fou. Surtout en perdant autant de poids en si peu de temps. »   - Joaquin Phoenix


Lors d’une interview pour un magazine italien, l’acteur a déclaré que pour s'approprier le mythique rire dément du Joker, il a regardé des vidéos de personnes souffrant de rires pathologiques, une maladie mentale qui rend le mimétisme incontrôlable. Cette maladie méconnue cause des rires (et/ou des pleurs) involontaires, généralement accompagnés de spasmes, qui se déclenchent de manière inopinée et imprévue. Parfois même en plein milieu d'une situation ou conversation banale.



  Concernant l’approche psychologique qui peut être réalisée du personnage du Joker dans la version de 2019, le psychiatre Sébastien Garnero déclare : « On voit le protagoniste se développer petit à petit comme quelqu’un de schizophrène car les rires et les pleurs deviennent immotivés dans les troubles schizophréniques, à savoir que le sujet souffre alors de discordance affective et dissocie ses expressions mimiques, faciales et sonores (et donc le rire, ou les pleurs) de tout contexte émotionnel. On peut alors assister à des rires soudains et incontrôlables au beau milieu d’un contexte neutre, sans aucun rapport avec la situation. »


Le Joker devient alors porteur d’une forme pathologique de rire nerveux incoercible, grandiloquent et mêlé à des larmes : « Le rire du Joker est un excellent moyen de mise en scène pour refléter sa bizarrerie, son inadaptation sociale puis sa folie. Il se révèle être une métaphore de son mal être, de sa tristesse et de sa frustration profonde, provoqués par le rejet et la moquerie des autres. Par un concours de circonstances, il prendra alors sa revanche d’anti-héros face à ce monde et cette société qui le rejette, et deviendra le symbole des oubliés, des sans-grades, des exclus du système. » poursuit-il.


Toutefois, un autre psychiatre, spécialisé dans les représentations des maladies mentales au sein de la pop culture, le docteur Jean-Victor Blanc, considère quant à lui qu'il n'y a pas de lecture réelle du trouble psychique du Joker : « J'y vois une sorte de chimère, un mélange de pathologies psychiatriques et neurologiques. On le voit avec son traumatisme crânien qui probablement induit ce rire incontrôlable. L’écueil serait de vouloir attribuer une pathologie précise et bien définie au Joker, ce qui aurait pour conséquence aux yeux du public d’attribuer la violence de son comportement à une pathologie psychiatrique. Cette erreur principale est heureusement évitée dans le film de Todd Phillips. »

Le docteur Jean-Victor Blanc fait ici référence aux représentations sociales erronées ou peu flatteuses pour les malades que le cinéma véhicule parfois concernant les troubles mentaux à travers les films traitant de ce sujet, mais nous reviendrons sur ce point dans la dernière partie de ce mémoire.


En rapport avec les représentations dont fait état le film, de nombreuses personnes aux États-Unis redoutaient que le film puisse inciter à la violence, mettant en cause l'empathie dont fait preuve Todd Phillips à l'égard de son Joker. Des familles de victimes de la fusillade d'Aurora (Colorado) en 2012 notamment, lors de laquelle un jeune homme de 24 ans avait ouvert le feu sur le public durant la projection du film The Dark Knight, ont ainsi publié une lettre ouverte adressée aux studios Warner, regrettant un film qui « présente ce personnage et son histoire à travers un sentiment de compassion créé auprès du public ».


Pour le psychiatre Jean-Victor Blanc, c’est justement une bonne chose car le film fait état d’un trouble mental. Peu importe que celui-ci soit fictif ou réel, le fait que Todd Philipps aborde son personnage d’un point de vue très psychologique et qui se revendique comme tel justifie le regard plein d’empathie amené sur le personnage du Joker dans son film.

« Le regard empathique porté par ce film est un regard que chacun devrait porter sur tous les troubles psychiques. »   - Jean-Victor Blanc

Le psychiatre pointe également la justesse du traitement à travers un autre aspect lié a la santé mentale : celui des subventions de l’état et des moyens de financement dont disposent les instituts psychiatriques et autres structures d’accueil ou d’aide pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Il évoque la scène selon lui assez criante de vérité où la thérapeute dit au Joker : « Écoutez, je suis désolée mais il n’y aura pas de séance la semaine prochaine. On nous coupe les fonds ». Une décision arbitraire qui caractérise de nombreuses situations dans lesquelles le personnel médical n’est pas en mesure de soigner correctement ses patients et qui, malheureusement, ne relève pas de la fiction, selon le psychiatre.


En comparaison avec les autres représentations du Joker au cinéma (Jack Nicholson dans Batman, Heath Ledger dans The Dark Knight ou encore Jared Leto dans Suicide Squad), Jean-Victor Blanc juge intéressante l’évolution que l’on peut constater dans la représentation de la psychologie du personnage, avec pour sa dernière version une dimension moins caricaturale du personnage : « Il y a plus de nuance, traduisant une réelle volonté de compréhension et de sensibilisation. »



The Dark Knight et Joker, deux films donc, pour deux intentions différentes. Deux performances remarquables et saluées, tout en complexité : l’une traduisant la folie ancrée profondément dans l’esprit du personnage, au paroxysme de son art machiavélique, et l’autre, plus évolutive et plus nuancée, faisant état de la montée progressive de la folie, avant que le Joker ne soit le Joker.

Également deux interprétations ayant énormément sollicité les deux acteurs, qui sont allé chercher au plus profond d’eux-mêmes les ressources nécessaires pour endosser ce rôle et qui ont ainsi fait preuve d’une immense introspection, allant jusqu’à mettre en péril, consciemment ou non, leur santé mentale pour atteindre la juste représentation de l’idée qu’ils avaient tous deux en tête de la psychologie du fameux Joker.

II. B. 2) La performance de Joaquin Phoenix: Texte

©2020 par Santé mentale et cinéma. Créé avec Wix.com

bottom of page