Santé mentale & Cinéma : Perception, traitement et enjeux de la psychiatrie et des troubles mentaux au cinéma

I.B. 1) Les thématiques abordées par les films traitant de la santé mentale :
Lorsque l’on parle de troubles mentaux, certaines thématiques reviennent assez souvent en psychanalyse. Et cela le cinéma l’a bien compris, reprenant dans de nombreux films des grandes théories de la psychiatrie ou de la psychologie.
Le plus fréquent mais aussi le plus passe-partout est le traumatisme vécu pendant l’enfance. Combien de films ont-ils mis en scène un personnage présentant un comportement déviant qui s’explique à la fin par un traumatisme subi par le personnage en question pendant l’enfance ? Et pour ce cas précis, l’on dépasse même le cadre limité des films traitant de la santé mentale : comédies, drames, western, films fantastiques, comiques ou de science-fiction… on retrouve l’explication du comportement déviant (ou héroïque) d’un personnage par un événement tragique survenu dans son enfance dans toutes sortes de genres cinématographiques.
Et bien que la psychanalyse base énormément ses travaux et son efficacité dans l’exploration du passé des patients, un trouble mental n’est pas toujours lié à un traumatisme et n’est pas toujours lié non plus à un événement qui se serait déroulé durant l’enfance de la personne. Mais il faut avouer que cette méthode d’analyse et tout de même bien pratique pour expliquer en un rapide flash-back le comportement ou l’attitude d’un personnage. Le spectateur ne saurait remettre en question cet état de fait tant la croyance populaire est répandue et acceptera bien volontiers ce flash-back comme seule et unique cause des agissements d’un personnage, même si la réalité psychologique est bien souvent un peu plus complexe… Mais le format de 2h, les contraintes techniques, le scénario, etc. empêchent bien souvent de s’épandre sur le sujet comme le ferait un psychanalyste, car ce n’est pas là le but premier du film de fiction.
Le rapport à la mère, et notamment l’attachement exclusif dont peut faire preuve un personnage envers la sienne, est également une thématique très courante et rejoint par ailleurs le rapport à l’enfance que nous venons d’évoquer. Il est par exemple à l'origine de la névrose de Norman Bates, dans Psychose, d’Alfred Hitchcock (1960) mais également, dans une moindre mesure, abordé dans un autre film d’Hitchcock : Pas de Printemps pour Marnie, ou encore dans Citizen Kane, d’Orson Welles (1941). Ce rapport viscéral et malsain à la figure maternelle atteint son point culminant avec Spider, de David Cronenberg (2002) qui met en scène un personnage schizophrène qui n'a jamais supporté la sexualité de sa mère.
L'inceste, également souvent abordé au cinéma, ne génère cependant pas toujours des comportements névrotiques, contrairement à ce que l’on pourrait croire. On pourra citer Festen, de Thomas Vinterberg (1998) ou encore Volver, de Pedro Almodovar (2006) en exemples. Cette pratique déviante et résultant d’un profond trouble mental est cependant à l'origine de comportements psychotiques dans Répulsion, de Roman Polanski (1961) mais également dans la série Twin Peaks, de David Lynch ou encore dans le film Le Ruban Blanc, de Michael Haneke (2009).
Un sentiment d'oppression est également une sensation récurrente perçue par les personnages atteints de troubles mentaux. Et l’intérêt de ce trouble réside dans le fait que la retransmission de ce sentiment d’oppression par le protagoniste à l’écran va influer sur les spectateurs, qui vont à leur tour se sentir oppressés. C’est grâce à ces mécanismes de mise en condition, lorsqu’ils sont présentés avec finesse et maîtrise, que le cinéma arrive à captiver son public et à lui faire ressentir ce que ressent le personnage, renforçant ainsi le processus d’identification qui maintient l’attention du spectateur et lui fait éprouver par exemple de l’empathie pour le personnage.
L’oppression est un sentiment très souvent présent dans les films traitant de la santé mentale, en voici quelques exemples :
Dans Black Swan, de Darren Aronofsky (2010), Nina est surprotégée par sa mère (on retrouve ici le rapport complexe à la figure maternelle) et est enfermée dans la danse, ce qui va l’amener à développer son trouble psychotique paranoïaque.
Dans Shining, de Stanley Kubrick (1980), Jack éprouve un sentiment de claustrophobie car l’hôtel dans lequel il s’est exilé avec sa femme et son fils afin d’écrire son livre est coupé du monde, perdu en pleine montagne. Le décor est constamment enneigé, renforçant ainsi le sentiment de solitude extrême.
Également dans Bug, de William Friedkin (2006), Agnès et Peter s’enferment dans leur chambre de motel car le monde extérieur les effraie.
Et enfin, l’on peut revenir sur Psychose, dans lequel le personnage de Norman est coupé du monde dans un manoir, son motel n’accueillant presque aucun client du fait de la déviation d’une route qui n’amène plus personne. On retrouve ici plus que jamais ce sentiment d’oppression à travers le personnage de la mère de Norman (citée plus haut) qui l’accable et l’opprime, lui interdisant pratiquement tout contact avec l’extérieur.
On notera également à travers ces exemples que la thématique de l’enfermement dans un motel, sans nulle autre part où aller, est également très présent en matière cinématographique (Psychose, Shining, Bug, Identity, ou encore plus récemment Sale Temps à l’Hôtel El Royale, de Drew Goddard (2018).
Une autre constatation intéressante peut être établie entre narration et maladie mentale. Prenons deux exemples :
Dans le film Un Homme d’Exception, de Ron Howard (2001) :
Comme de nombreux biopics hollywoodiens sur des personnalités ayant eu un parcours de vie semé d’embûches mais ayant néanmoins accompli de grandes choses ou dont l’histoire véhicule un message concernant des valeurs fortes (espoir, courage, détermination, résiliance, foi, etc.) le but de ce film est ici de toucher le public, on veut l’émouvoir. En l’occurence ici, le film Un Homme d’Exception retrace le parcours de vie du célèbre mathématicien John Nash, atteint de schizophrénie, qui a néanmoins reçu le prix Nobel d’Économie en 1994.
Dans ce film, on constate que la mise en scène de la maladie est exagérée afin d’aboutir à des séquences qui adhèrent à la représentation que l’on veut en donner et à l’émotion que l’on veut faire ressentir au spectateur. La musique a dans ce film un rôle très important dans l’émotion que l’on souhaite susciter. La maladie mentale est ainsi montrée de manière très romancée, on souhaite apporter un caractère dramatique à la nature du trouble dont souffre John Nash.
Dans ce film, la maladie mentale se met au service de la narration : la schizophrénie de John Nash sert de prétexte pour intensifier l’émotion véhiculée par le film, afin de dramatiser le sentiment qu’il dégage. Ce n’est pas une critique en soi, le cinéma a bien raison de recourir aux artifices qui sont les siens pour transmettre de l’émotion au spectateur, pour renforcer l’impact que la scène a sur lui et pour aboutir à un film qui fait rêver, voyager, lâcher prise etc. Mais lorsque cela se fait au détriment de la vérité, surtout si le film prétend rendre compte de la vie d’une personnalité ayant réellement existé, certains déplorent le manque de réalisme au profit d’une réalité romancée.
Et maintenant dans le film Clean, Shaven, de Lodge Kerrigan (1993) :
Ce thriller américain, premier film du réalisateur indépendant Lodge Kerrigan dont le budget n’a été que de 60.000$, n’a pas rencontré un franc succès populaire mais a en revanche connu un grand succès critique en se faisant notamment remarquer au festival de Cannes. L’histoire du film concerne également une personne schizophrène, mais cette fois pas de prouesses de calculs ni de prix noble : Clean, Shaven s’efforce de montrer la manière dont une personne atteinte de schizophrénie affronte la vie quotidienne, tout simplement. Ces petites choses de la vie qui paraissent insignifiantes aux personnes saines d’esprit, que l’on ne remarque même pas ou que l’on effectue sans y prêter attention. Mais pour une personne schizophrène, ce film nous montre que le quotidien est bien plus difficile à vivre.
Cette intention de réalisation fait donc de Clean, Shaven un film plus juste dans sa représentation de la maladie mais également plus dur à regarder. L’intention de réalisme de la part Kerrigan provient de l’un de ses amis d’enfance qui a développé un syndrome schizophrénique à l’âge adulte. Le réalisateur s’est donc énormément renseigné, a fait preuve de beaucoup de rigueur dans son travail de préparation et dans son étude de la maladie mentale en se rendant dans des unités psychiatriques afin d’observer des personnes atteintes de schizophrénie et de pouvoir discuter avec elles ainsi qu’avec les psychiatres qui les accompagnent.
Concernant la mise en scène, Kerrigan va ici utiliser les outils audiovisuels que le cinéma met à sa disposition pour illustrer une vision de la maladie mentale la plus juste et la plus proche possible de la réalité, afin de tenter de faire comprendre au spectateur la manière dont une personne qui en est touchée peut percevoir le monde, sans tenter de faire ressentir une quelconque émotion au spectateur, simplement en lui présentant les faits de la manière la plus réaliste possible.
Dans ce film, la narration se met aux service de la maladie mentale : pas d’artifices, pas d’embellissement ni d’exagération, les seuls « trucages » servent uniquement à rendre compte de manière honnête des hallucinations auditives du personnage principal, des pensées noires qui l’assaillent et ed la façon dont il perçoit son environnement, toujours en se référant à ce que vivent réellement les personnes schizophrènes.
Voilà donc deux visions différentes d’un même trouble, deux façons différentes de le mettre en scène en fonction de l’intention associée au projet du film. Tout dépend de ce que souhaite le réalisateur et du message qu’il veut faire passer.
Mais l’on ne pourrait conclure cette partie sur l’atout scénaristique que peut présenter la santé mentale pour le cinéma sans évoquer le trouble mental le plus représenté de tous parmi les chefs d’oeuvre du 7ème art : les troubles dissociatifs de l’identité (ou TDI), auxquels on va consacrer les lignes qui suivent.