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I.B. 2) Les Troubles Dissociatifs de l’Identité (TDI) :


Le parfait exemple des enjeux narratifs que peuvent incarner

les troubles mentaux au cinéma

Pour prendre un exemple concret, probant et très évocateur, les troubles dissociatifs de l’identité (TDI) peuvent être évoqués car ils sont fortement employés par les réalisateurs comme outil de potentialisation de l’intrigue. Ils se caractérisent notamment par un dédoublement de personnalité, ou encore de multiples personnalités habitant l’esprit d’un seul et même individu.


Malgré les déclarations de nombreux spécialistes en la matière ayant déclaré que le pourcentage de la population mondiale ayant déjà souffert d’un tel trouble était extrêmement faible voire quasi-inexistant (au point que de nombreux membres de la communauté scientifique doutent même de leur existence avérée), ces TDI sont très largement représentés à l’écran et de nombreux films font état d’un personnage souffrant de cette pathologie. Pour n’en citer que quelques-uns :


  • Les Trois Visages d’Eve, de Nunnally Johnson (1957)

  • Psychose, d’alfred Hitchcock (1960)

  • Sybil, de Daniel Petrie (1976)

  • L’Esprit de Caïn, de Brian de Palma (1992)

  • Color of Night, de Richard Rush (1994)

  • Excès de Confiance, de Peter Hall (1995)

  • Peur Primale, de Gregory Hoblit (1996)

  • Les Démons du Passé, de Stephen Gyllenhaal (1996)

  • Fight Club, de David Fincher (1999)

  • Fous d’Irène, de Bobby Farrelly et Peter Farrelly (2000)

  • Identity, de James Mangold (2003)

  • Haute Tension, de Alexandre Aja (2003)

  • Fenêtre Secrète, de David Koepp (2004)

  • Hide and Seek, de Huh Jung (2013)

  • Be Bad!, de Miguel Arteta (2009)

  • The Ward : L’Hôpital de la Terreur, de John Carpenter (2010)

 Le cinéma n’est donc absolument pas représentatif de la prévalence mondiale de la maladie, mais là n’est pas son objectif car néanmoins, on ne pourra pas nier que les TDI ont permis l’écriture de scénario qui, pour certains, ont donné lieu à d’excellents films.


Les hallucinations visuelles dont le personnage est victime dans les films traitant de cette pathologie servent de mise en scène idéale pour un rebond scénaristique inattendu (« twist ») à la fin du récit, lorsque le protagoniste et le spectateur comprennent en même temps que telle personnage était en réalité une illusion créée par l’esprit dérangé du héros et qu’il s’agit simplement d’une autre personnalité habitant le corps de celui-ci, qui n’existe « que dans sa tête ». On comprend aisément l’attrait dramatique d’un tel trouble, qui permet donc une montée en puissance de l’intensité dramatique jusqu’au twist final qui révèle au spectateur la vérité sur ce de quoi il est témoin depuis le début.



Pour mieux comprendre l’intérêt que peuvent présenter les TDI dans l’intrigue d’un long-métrage, on pourra citer notamment 3 films à gros budgets, ayant tous rencontré un certain succès d’audience, et qui se distinguent chacun par une manière différente d’aborder la pathologie et d’entretenir le suspense :


    a)    La double personnalité amicale - Fight Club, de David Fincher (1999) :


Évidemment, comment évoquer le trouble dissociatif de l’identité sans parler du célèbre Fight Club de David

Fincher ?


Ce film montre une détérioration progressive du psychisme du « narrateur », le personnage principal incarné par Edward Norton dont la voix off vient régulièrement ponctuer l’action. Et tout au long du film, le narrateur va dialoguer avec son autre personnalité, car il la voit en face de lui.


Elle se présente sous la forme de Tyler Durden, personnage incarné par Brad Pitt, qui va incarner tout ce que le protagoniste rêverait de devenir : Tyler est beau, a du style et beaucoup de charisme, parle bien en étant convaincant, a des projets ambitieux et connaît un grand succès auprès des femmes. Tyler est donc tout ce que le « narrateur » (dont on ne connaîtra même pas le nom tout au long du film) aimerait être. Ils vont alors devenir amis et monter ensemble le Fight Club, une rencontre hebdomadaire où ceux qui le souhaitent peuvent venir s’affronter en combat singulier à mains nues pour « se sentir vivant et se sortir de leur quotidien ennuyeux ».


Tyler n’est pourtant que l’incarnation de la deuxième personnalité du narrateur, or la mise en scène donne lieu à deux personnes qui discutent, face à face, comme lors d’un dialogue normal. Mais lorsque sa deuxième personnalité, Tyler Durden (incarnée par Brad Pitt), finit par prendre le dessus, elle disparaît alors de son environnement extérieur. Mais le déni dans lequel est plongé le narrateur va l’amener à chercher Tyler à travers tous les États-Unis, avant d’enfin comprendre, dans un éclair de lucidité et poussé par le retour inexpliqué de Tyler dans sa chambre d’hôtel, que Tyler et lui ne forment en réalité qu’une seule et même personne.


 La mise en scène de David Fincher prend ici le parti de représenter à l’écran le narrateur et son « double » dans le même espace. La deuxième personnalité du protagoniste prend donc forme humaine, à ses côtés, et ils vivent ensemble comme deux amis, discutent entre eux et interagissent même l’un avec l’autre. Ce parti pris, qui traduit la deuxième personnalité comme un autre personnage du film, permet alors au film d’induire le spectateur en erreur jusqu’à la fin sans qu’aucune suspicion ne puisse être émise quant au dénouement du film. Le spectateur a l’impression de voir deux personnages bien distincts de l’histoire et ne peut alors absolument pas se douter que l’un des deux est en fictive et n’existe que dans l’esprit du premier.


Ce film a marqué de nombreux spectateurs et, à ma connaissance, beaucoup le placent dans le top 3 des films qu’ils ont préféré. Et ce n’est pas sans raison : c’était bien la première fois que le cinéma poussait aussi loin l’induction du spectateur en erreur dans un scénario mettant en scène un personnage « fictif dans la fiction » dont la nature illusoire ne nous est révélée qu’à la toute fin. Ainsi, grâce à ce TDI (et bien que l’on ne saurait dire que le succès du film ne tient qu’à la seule présence de ce trouble mental dans l’histoire), David Fincher a signé un long-métrage ayant rencontré une très forte approbation par le public, séduit par l’intérêt que présentait le trouble dont souffre le personnage principal pour la narration de l’histoire.

b)   La double personnalité ennemie - Fenêtre Secrète, de David Koepp (2004) :


Dans ce film, dont le personnage principal, Mort Rainey, est incarné par Johnny Depp, David Koepp nous présente un écrivain solitaire qui reçoit un jour la visite d’un homme qui prétend que l’écrivain lui a volé son histoire. Une histoire que l’homme en question, dénommé John Shooter, aurait écrit avant lui mais que Mort aurait publié en son nom dans un magazine voilà plusieurs années.


Persuadé que Shooter se trompe, Mort ne va pas accorder de crédit aux propos de cet homme et va alors se faire menacer à plusieurs reprises par ce dernier. Shooter va tuer le chien de l’écrivain en guise d’avertissement, violenter Mort en l’étranglant avec un manche de pelle, incendier la maison son ex-femme, et va enfin tuer le shérif et l’avocat que Mort avait contacté pour assurer sa protection contre ce « malade mental », selon ses propres mots.


Mort va finir par comprendre, en se regardant dans un miroir après avoir mis sur sa tête le chapeau de Shooter, que Shooter et lui ne forment en réalité qu’une seule et même personne et que c’est bien lui qui a commis tous les crimes qu’il attribuait à Shooter.


Le spectateur n’apprend là aussi la pathologie dont souffre le personnage principal qu’à la fin de l’histoire, du fait d’une dissimulation inconsciente de tous les indices qui auraient pu amener le personnage principal à comprendre qu’il était à l’origine de sa propre persécution. Mais ici, les deux personnalité sont ennemies : la personnalité « malsaine » brutalise la personnalité innocente, qui ne se croit que victime alors qu’elle est également coupable.


David Koepp nous plonge donc ici dans le délire paranoïaque développé par le personnage de Johnny Depp et nous amène, par une méthode de mise en scène plus ou moins similaire à celle utilisée par David Fincher dans Fight Club, à comprendre que Shooter n’existe que dans la tête de Mort.



c)   Les personnalités multiples - Identity, de James Mangold (2003) :


En ce qui concerne maintenant ce film, il témoigne d’une mise en scène très ingénieuse dans sa narration. Dix personnes se retrouvent coincées dans un motel à cause d’une tempête, sans nulle autre part ou aller. Un premier meurtre va être commis, suivis pas plusieurs autres, sans que l’on connaisse l’identité du tueur, et chaque personnage va suspecter les autres te tenter de démasquer l’assassin. Mais au beau milieu du film, on nous raconte une toute autre histoire à propos d’un meurtrier condamné à mort, dont le médecin explique lors de son procès qu’il souffre d’un trouble dissociatif de l’identité. Le spectateur comprend alors que les événements qui ont lieu dans le motel se produisent en réalité à l'intérieur de l'esprit de Malcolm, chaque facette de la personnalité du malade étant représentée par un personnage de l’histoire que l’on suit depuis le début. Tout l’enjeu pour le médecin va alors être de déterminer quelle est la personnalité meurtrière dont souffre le protagoniste (condamné à mort) afin de l’éliminer et de ne plus laisser qu’une seule personnalité dépourvue de pulsions meurtrières dans l’esprit de son patient, le sauvant ainsi de la peine de mort à laquelle il a été condamné.


La mise en scène ingénieuse réside ici dans la représentation de ce qu’il se passe dans la tête d’un individu souffrant d’un TDI à travers une toute autre histoire, par laquelle le film commence et qui sera par la suite mise en parallèle avec la véritable histoire, qui relate le procès du protagoniste. Le spectateur suit donc deux actions différentes, l’une fictive et l’autre réelle, mais avec cette particularité que la première va avoir un impact et des conséquences sur le déroulement de la deuxième. Les personnalités multiples du personnage principal sont là encore représentées par des humains, jouées par des acteurs, mais l’on comprend à la moitié du film que l’action se déroule dans son esprit.


Fort de cette révélation, le spectateur est néanmoins toujours tenu en haleine : car ayant compris les enjeux des meurtres qui ont lieu dans le motel, l’appréhension du film passe sur un autre registre, et on espère alors que la personnalité meurtrière sera démasquée par les autres avant qu’elle ne les tue toutes.


Il n’y donc cette fois plus deux personnalités mais dix. Plus de « double maléfique », on dépasse cette dualité qui oppose le personnage à sa « part d’ombre », dont il se dissocie mentalement. Cette manière de raconter une histoire, en se jouant de ce que croit comprendre ou savoir le spectateur, est très intéressante dans la construction de la narration. Les différentes personnalités qui habitent l’esprit du protagoniste de Identity ne lui font cette fois plus face et ne sont plus dans le même « monde » que lui, à l’inverse de Fight Club ou Fenêtre Secrète. Chaque personnalité est illustrée sur un autre plan, en parallèle de l’histoire principale.




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En définitive, les troubles mentaux sont un formidable moyen pour les scénaristes d’exploiter tout le potentiel de suspense qu’un film peut impliquer, notamment dans les thrillers. Le terme « thriller psychologique » est d’ailleurs devenu une catégorie de films à part entière après être passée dans le langage courant pour décrire justement ce type de films traitant de la santé mentale à travers une intrigue tenant le spectateur en haleine de par le suspense qu’elle met en place.


Mais le scénario ne suffit pas, bien entendu, il faut également arriver à montrer la maladie, à la faire comprendre au spectateur à travers l’écran. Il faut donc réussir à montrer quelque chose d’invisible, quelque chose qui n’a aucune forme mais qui se traduit uniquement par des comportements et des sensations (c’est là que la dimension du jeu d’acteur prend toute son importance). Et pour ce faire, le cinéma offre de nombreux moyens aux réalisateurs mettre en scène les troubles dont souffrent leurs personnages.

I.B. 2) Les TDI: Texte

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