Santé mentale & Cinéma : Perception, traitement et enjeux de la psychiatrie et des troubles mentaux au cinéma

III.A. 2) Les représentations de la psychiatrie et du personnel médical :
Le domaine de la psychanalyse, depuis son apparition, n’a cessé de fasciner les scénaristes pour les possibilités de diagnostic et de guérison, jusqu’alors inexpliquées, qu’elle a révélé au grand jour.
Assez classiquement, c'est par la figure du psychanalyste au travail qu'avait été introduite la psychanalyse au cinéma. Dans Le Cabinet du Docteur Caligari, de Robert Wiene (1919), le psychiatre assassin incarne le mal engendré par le pouvoir absolu. La figure du psychiatre va ensuite se complexifier, pour le meilleur ou pour le pire.
Les avancées de la médecine ou de la chirurgie sont souvent représentées de façon idéalisées ou triomphantes au cinéma, ce qui n’est jamais le cas (ou de manière extrêmement rare) de celles de la psychiatrie. Au contraire, la psychiatrie est souvent perçue par le 7ème art comme un monde mystérieux, incompréhensible, où l’étrange se mêle à la folie, allant parfois même jusqu’à fantasmer un environnement effroyable et sadique, que ce soit du côté des patients ou des institutions professionnelles en elles-mêmes.
On pourra citer à titre d’exemple pour ce dernier cas des films tels que Le Silence des Agneaux, de Jonathan Demme (1991) pour la figure emblématique du psychiatre-psychopathe-serial-killer ; Britannia Hospital, de Lindsay Anderson (1982) qui met en scène la greffe d’une tête humaine ; ou encore Soudain, l’Été Dernier, de Joseph L. Mankiewicz (1959) et Vol au-dessus d’un Nid de Coucou, de Milos Forman (1976) qui montrent tous deux à voir le concept cruel de lobotomies punitives.
Chacun de ces films mettent en avant le personnage du médecin ayant lui-même succombé à la folie, tantôt sadique et tantôt meurtrière. Étranges représentations que celles de la psychiatrie au cinéma, où la folie touche aussi bien les patients que les médecins supposés les soigner…
Concernant plus particulièrement le film Vol au dessus d'un Nid de Coucou et l'hospitalisation sous contrainte, il faut savoir que cette dernière existe, certes, mais ne concerne que 5% des cas d’hospitalisation en hôpital psychiatrique en France. La plupart des patients n’ont pas à connaître cette extrémité et n’ont pas à vivre cette situation comme premier contact avec la psychiatrie.
L'enfermement et l'hospitalisation sans consentement sont fréquemment associés au cinéma et cela tend à créer une confusion entre les soins psychiatriques dispensés dans les établissements de santé mentale et la figure symbolique de la prison. Dans certains films, les soins ont trop souvent tendance à être envisagés sous l'aspect de la contrainte quand il s'agit d'hospitalisation psychiatrique. On va parler d'internement, même si la personne se fait hospitaliser de son plein gré. Le terme d’« enfermement » est alors assez injustifié à ce niveau-là.
L’idée d’une folie contagieuse par sa fréquentation hante également certains films. Shock Corridor, de Samuel Fuller (1963) est emblématique à cet égard. Dans ce film, le héros qui se fait délibérément interner dans un asile psychiatrique pour démasquer un assassin y perd la raison par le simple fait de côtoyer les autres patients en restant enfermé dans cet environnement. On peut également, dans un registre bien moins sérieux et grave, plus comique mais tout aussi influent, évoquer le dessin animé Les 12 travaux d’Astérix, dans lequel le héros gaulois est forcé de passer un certain temps dans un hôtel rempli de « fous », le but espéré (et presque atteint en définitive) étant de le rendre fou à son tour.
L’asile psychiatrique, haut-lieu de règne de la folie, est sans conteste la représentation la plus forte et la plus courante de tout ce qui est susceptible d’effrayer et de déranger l’inconscient collectif dans le milieu médical. Le genre horreur-épouvante en a fait un lieu de prédilection pour de nombreuses oeuvres audiovisuelles (films, séries, jeux vidéos, podcast audio, etc.)
À titre d’exemples, il existe au moins 4 films dont le titre est Asylum. Ils datent respectivement de 1972, 2005, 2007, et 2011. Et dans tous ces films, l’institution soignante ne soigne en réalité personne et fonctionne comme une prison où l’on torture les patients et dont le psychiatre est le plus fou de tous les pensionnaires. Asylum est également l’intitulé de la 2ème saison de la série American Horror Story, une série d’horreur-épouvante au titre tout à fait évocateur, et a également été utilisé dans le jeu-vidéo Batman : Arkham Asylum, au cours duquel le joueur est amené à combattre une panoplie de criminels fous à lier, tous plus laids et effrayants les uns que les autres, menés par le Joker, figure emblématique de la folie au sein de la pop culture.
On pourra également citer le film A Cure for Life, de Gore Verbinski (2016) pour un parfait exemple d’institution psychiatrique mise en lien avec une histoire de science-fiction macabre, sombre et terrifiante dans ses pratiques. Par ailleurs, le terme « film d’horreur psychologique » est désormais entré dans le langage cinématographique courant pour évoquer un certain genre de cinéma, qui se sert des représentations sociales les plus effrayantes concernant l’environnement psychiatrique en les intégrant aux codes classiques du genre horreur-épouvante afin de faire peur au spectateur.
On notera également que la laideur et l’effroi suscité par une personne atteinte de troubles mentaux, ainsi que la violence associée à son aspect effrayant sont de profonds stéréotypes que l’on retrouve très fréquemment dans le genre cinématographique horreur-épouvante, comme dans Halloween - La Nuit des Masques, de John Carpenter (1978) ou encore dans Freddy - Les Griffes de la Nuit, de Wes Craven (1984), voire aussi dans de nombreux thrillers, comme par exemple avec les personnages incarnés par Jill Larson, Elias Koteas ou encore Jackie Earle Haley dans le célèbre Shutter Island, de Martin Scorsese (2010).
La maladie mentale est alors un prétexte qui sert à projeter la peur qu’elle est sensée susciter sur des personnages très éloignés de nous, à l’apparence hideuse et au tempérament dangereux et violent, poussant ainsi le spectateur à en avoir peur mais permettant également de le rassurer quant à sa propre condition, en transférant sa peur sur la maladie mentale. Une telle représentation des troubles psychiques peut être critiquée et déplorée lorsque l’on sait que les personnes qui en sont atteintes sont bien plus souvent elles-mêmes terrorisées par leurs symptômes, en ayant parfois l’impression d’être persécutés, qu’elles ne seraient susceptibles de terroriser autrui.
Mais même si on remonte bien avant cela, le cinéma s’est toujours servi du domaine de la psychiatrie, encore nouveau et très méconnu à l’époque, pour façonner des ambiances angoissantes et dérangeantes : dans La Fosse aux Serpents (Anatol Litvak, 1948) par exemple, l’asile psychiatrique est montré sous ses plus terribles aspects… Bien que Virginia trouve la voie de la guérison grâce à son psychanalyste, ce film n’en reste pas moins un parfait exemple.
La Tête contre les Murs (Gorges Franju, 1959), Shock Corridor (Samuel Fuller, 1963), Family Life (Ken Loach, 1972), Vol au-dessus d'un Nid de Coucou (Milos Forman, 1975) sont des films qui vont quant à eux attaquer l'institution psychiatrique en dénonçant certaines méthodes. La démarche n’est cette fois pas seulement et purement horrifique, on constate clairement les enjeux de l’histoire, de ce qui nous est montré, et la réflexion vers laquelle les réalisateurs souhaitent nous emmener.
On constate donc que durant les années 70, l'institution psychiatrique focalise le mécontentement avec ses traitements inhumains. On pourra alors citer le célèbre Orange Mécanique, de Stanley Kubrick (1971), dans lequel le personnage d’Alex, adepte de musique classique et d’ultra-violence, subit un traitement appelé « technique Ludovico » qui consiste à le forcer à regarder, à l’aide d’écarquilleurs, des scènes de violences extrêmes en tout genre tandis qu’on lui administre des drogues lui provoquant d’intenses douleurs, afin qu’il finisse par associer la douleur ressentie aux images qu’il visualise, l’empêchant ainsi de s’adonner de nouveau à ses pratiques cruelles.
Car bien que le cinéma exploite les stéréotypes sur le milieu psychiatrique, il n’en reste pas moins que ce dernier a par le passé réellement employé et testé des méthodes inhumaines et cruelles sur certains patients souffrant de troubles très importants et très graves, pouvant mettre en danger son entourage. Il en va ainsi de la lobotomie ou de certains électrochocs, bien trop violents pour prétendre guérir quoique ce soit…
Dans Tarnation (2004), Jonathan Caouette décrit le calvaire de sa mère, internée dans différents asiles, subissant des électrochocs qui finissent par la rendre réellement folle. Carole dans La Frontière de l'Aube (Philippe Garrel, 2008) subit aussi des électrochocs qui la conduisent aux portes de la folie. Dans Walk Away Renée (2012), Jonathan Caouette montre à quel point l'institution psychiatrique, si elle est soumise à des soucis de rentabilité et d'évitement des risques juridiques, n'a aucune chance de pouvoir répondre à un traitement humain de la maladie.
Sans justifier pour autant les stéréotypes à ce sujet, on peut alors néanmoins comprendre d’où ils viennent et pourquoi ils sont apparus. La barbarie médicale et psychiatrique a toujours existé, ce n’est pas un mythe inventé de toutes pièces, il y a toujours une part de vérité dans les représentations sociales. On ne peut pas nier l’image dérangeante et malsaine qui continue de s’accrocher encore aujourd'hui à l’environnement psychiatrique. Mais cette dernière n’est que la résultante d’une méconnaissance de ce milieu, d’une peur de ce que l’on ne comprend pas et de ce à quoi l’on n’est pas habitué.
Car la peur de l’enfermement et les traitements coercitifs sont bel et bien des réalités médicales, certes très fortement exagérées par le cinéma mais néanmoins présentes. Et grossir le trait sur certains aspects n’empêche en rien une réflexion claire et honnête sur les méthodes utilisées et leurs conséquences.
Ainsi, grâce à une meilleure connaissance des pratiques actuelles et un meilleur a priori sur les institutions psychiatriques, les regards pourront changer et déconstruire les idées reçues liées à une époque révolue. Et le cinéma pourrait jouer un rôle primordial dans cette lutte contre les stéréotypes…